Pondi ma chérie

Olivier LebleuDe passage à Pondichery  en décembre 2013, Olivier Lebleu, historien et écrivain, partage avec nous son poème sur le plus célèbre ancien comptoir français.

 

Pondi ma chérie,

Dans l’avion qui m’emportait sous tes cieux

Je croyais sur l’horizon nuageux

Voir se découper la trinité hindoue

Krishna, Ganesh et Vishnou.

Pardon de t’avoir trop rêvée

Sur les chromos de mes manuels d’Histoire.

Figée dans ta cotonnade de comptoir

Pardon de t’avoir mal trouvée

Ce n’est pas toi qui m’as déçue

Ce sont les illusions que j’ai perdues

Quelques clichés qu’on m’avait vendus

Demain, promis, je m’en vais t’aimer mieux

 

Pondi ma chérie,

J’aime la danse chaloupée de tes séduisants saris

Cette touche de rouge français teintant les képis

En uniforme si British les écoliers portent leur sourire en sautoir

Rejoints à midi par leurs mères pour manger sur le trottoir.

Merci de m’avoir accueilli

Tu ne m’attendais pas

Et bientôt tu m’oublieras

Mais merci de m’avoir souri

Si les kolams de tes seuils plaisent aux divinités

Ils font aux visiteurs cadeau de leur beauté

Mêmes les Anglais n’ont pu négocier ta fierté

Demain, promis, je saluerai tes dieux.

 

Pondi ma chérie,

Tes écureuils hurleurs me donnent des envies de flingue

Tes moustiques ont bien failli me rendre « dengue »

Tes épices terroristes m’ont incendié le ventre

Mais tu m’as vu sous le déluge et tu m’as dit : entre !

Enchanté de te connaître,

Juste après la mousson

De cueillir ton soleil à foison

Fasciné par ma fenêtre

De voir les corbeaux bleutés picorer des rats noyés,

Sous le poids des fleurs tes bougainvillées ployer,

Par les pères joueurs les jeunes enfants choyés

Demain, promis, je me lèverai moins vieux.

 

Pondi ma chérie,

Tes chiens suicidaires titubent au bord défoncé des routes

Quand leurs meutes agressives ne mettent pas les hommes en déroute

Les mamelles des chiennes hagardes raclent le bitume

Pendant que les sacrées vaches se dandinent dans la brume.

Bravo pour ta chaude indolence !

Ta palette de pastels recouvre le gris

De l’ombre qui gagne les murs coloniaux décrépis

Bravo pour ta saine insolence !

Tu défis les saisons de ta moite inertie

Tu mélanges les peaux sans péripétie

Sais-tu que quand tu dodelines

L’Européen croit que tu te résignes

Et renonce à ce qu’il désigne ?

Demain, promis, je me laverai les yeux.

 

Pondi ma chérie,

Prends bien soin de tes maisons

Qui s’effondrent au gré de la corruption et des saisons

De tes hôtels si particuliers aux festons de pierre infestés,

De tes demeures tamoules aux colonnes ventrues qui ne pourront résister.

D’accord, tu gardes le choix

De brûler les saris qu’on tissait en factorerie

D’accord, tu as bien le droit

De tourner le dos à un passé meurtri

D’effacer ces noms étrangers aux croisements de tes rues

De jeter aux chiens errants les oripeaux de ta mue

Qu’importe l’identité

Si tu as la liberté

Au risque de l’obscurité

Demain, promis, je reviens sous tes cieux.

 Olivier Lebleu

Tous droits réservés.

 

 

 

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